Saison 2
l'épisode:
Saison 2 - Épisode 2 – Marcelline à Ramatuelle
> 7 octobre 2017 - 2.39Je ne bois pas. Mon père buvait. Beaucoup. Trop. À mon goût. Pas au sien évidemment. Ça ne le rendait pas intelligent. Il avait pourtant tellement de talent.
Son trait de crayon était aussi précis que sa sensibilité. Mon drame était qu’il ne voulait plus peindre. Alors que ses tableaux me faisaient pleurer. Lui, ils lui faisaient mal à la tête. Des migraines épouvantables, m’avait-il dit, un jour que je le questionnais. J’avais 20 ans. Et mon ambition était de vendre ses peintures. Je vendais des pantalons à Paris où j’avais fui la maison. Je ne bois pas, mais j’aime la culture liée au vin. J’aime les acheter, les goutter, les offrir, les servir. Mettre des jolis verres. Je ne bois pas mais j’ai aimé entendre ce viticulteur de Ramatuelle me dire que même si le cahier des charges de sa certification bio exige seulement qu’il ne mette pas certains produits dans ses vignes et sa vinification, il désire, pour obtenir une meilleure qualité, aller au-delà, il a ainsi banni les machines à vendanger de sa propriété, préférant vendanger manuellement ce qui lui permet de choisir chaque grappe, de laisser mûrir encore une semaine celles qui en ont besoin, et surtout de ne pas blesser les raisins qu’il charge dans de petites cagettes (ils risqueraient de faire du jus en s’écrasant sous leur propre poids), afin d’éviter que ceux-ci commencent leur fermentation trop tôt dans la remorque (ce qui n’est guère hygiénique). Et pour le vin rosé, il vendange de nuit sauf si la température est très fraîche toujours pour éviter ce problème de fermentation prématurée qui ferait sortir les tanins de la peau du raisin, et donnerait un vin foncé.
– Quand j’étais jeune, ajoute le viticulteur, il y avait une tradition qui s’appelait les rapugues, les propriétaires laissaient les raisins pas mûrs et leurs ouvriers agricoles les ramassaient après les vendanges pour faire leur propre vin.
– Mais plus personne ne fait les rapugues, dit Gustave en riant, en revanche, je dois reconnaître que ce travail manuel apporte une certaine gaité dans l’équipe, on chante, on siffle, on est content de se retrouver même si c’est épuisant, on porte presque une tonne par jour et par personne, heureusement le cheval de trait nous aide. Ici, pas de tracteur qui tasse et casse la terre. On l’emploie aussi pour passer une griffe entre les vignes afin qu’il n’y ait pas de concurrence entre les sarments et l’herbe à celui qui mangera le plus de nutriments ou absorbera le plus d’eau. Pas vrai, patron ?
– Pas faux, répond-il en souriant, je voudrais aussi préciser que le vin commence à se faire en hiver lors de la taille des sarments. Je regarde chaque pied de vigne comme s’il était un arbre individuel avec sa propre identité. Je l’analyse puis le taille en fonction de sa personnalité, ce qui donne ensuite des choses magnifiques.
Des choses magnifiques que je ne bois pas. Enfin, si, parfois, et les quelques magnifiques gouttes que j’absorbe me rendent immédiatement pompette.
Sylvie Bourgeois
Merci à Jimmy, Marcel, et Olivier, du groupe Whynco pour leur accompagnement musical.