Saison 2
l'épisode:
Saison 2 - Épisode 4 – Marcelline au vide-grenier du Faubourg-Saint-Germain
> 27 octobre 2017 - 4.03Dimanche dernier, j’ai pris un stand dans un vide-grenier pour Marcelline. Ça m’amusait de la voir vendre, de faire l’article, de rendre la monnaie. En revanche, à moi, ça ne m’a pas plu du tout. J’aurais préféré faire un donne-grenier. En général, c’est ce que je fais. Je donne mes habits. J’avoue que j’ai toujours été une grande consommatrice d’habits, surtout de petits-hauts, enfant, déjà, c’était ma consolation.
Oui, c’est idiot, mais un petit pull neuf, ça me fait ma journée, ça égaye mon visage, quand j’ai un chagrin, une déception, ça me remonte le moral d’avoir un vêtement nouveau sur moi, comme une nouvelle vie, un nouvel espoir, un nouveau rêve, qui me laisse à croire que tout est encore possible quand je ne suis pas en forme et que je n’arrive plus à me projeter. J’ai une forte propension à la mélancolie. C’est étrange, je suis dotée d’une capacité de vie phénoménale qui dans la seconde suivante est aussitôt accompagnée d’une forte pulsion de mort avec une envie de sauter par la fenêtre, un pas fatal que je ne ferai jamais, mon but étant paradoxalement de rester vivante le plus longtemps possible.
Alors vendre mes rêves, les brader sur un bout de trottoir à des gens qui, en plus, essayent de me les marchander, cela m’est carrément insupportable. C’est comme si soudain mes rêves avaient perdu toute leur valeur. Alors que les donner, oui. C’est même un sentiment puissant et extrêmement jouissif de savoir offrir ses rêves.
C’est d’ailleurs ce que j’ai fait à ce vide-grenier, j’ai adoré donné mon sac en cuir d’ordinateur pratiquement neuf à ce vieux couple d’amoureux venant de Seattle et mon pantalon Agnès B un peu délavé à cette étudiante chinoise.
J’aurais détesté, enfant, que ma mère me fasse faire un vide-grenier à ses côtés. Heureusement, elle était une Dame et ne s’amusait jamais à jouer à la marchande. Au contraire, elle se faisait un devoir de donner, et m’a appris très tôt à faire de même. Donner mes jouets. Donner mes habits. Donner la nourriture. Elle détestait le gaspillage et aimait l’idée que nos affaires soient recyclées. L’année de mes 7 ans, le soir de Noël, nous avions eu, mes frères et moi, un seul cadeau et plein d’autres que nous devions le lendemain offrir aux enfants défavorisés des Founottes, le quartier de Besançon où vivaient les familles sans argent. Je me souviens que j’y étais allée seule avec ma maman, la voiture remplie de vélos, de poupées, de trains électriques, de livres et de crayons de couleur, neufs et anciens, provenant de nos placards trop remplis. Je me souviens aussi du regard plein de lumière de cette petite fille à peine moins âgée que moi lorsque je lui avais déposé dans ses mains tendues ma jolie robe en coton brodé noir et blanc surpiquée de coccinelles rouges. Je m’étais sentie être une Dame. Son sourire m’avait consolée de toutes les fois où mes frères m’avaient tapée. C’était leur grand jeu. Vous savez, c’est bête les garçons, quand ça ne s’est plus comment réagir, ça tape les filles.
C’est ce jour-là en remontant dans la voiture de ma maman que j’ai appris que savoir donner était le plus beau des cadeaux.
Sylvie Bourgeois