Nous sommes en septembre 2015. Même si j’adore Paris et mon quartier de Saint-Germain-des-Près, j’ai besoin de la mer, c’est mon bonheur et mon médicament qui me guérit de tous mes chagrins. Je décide de revenir plus souvent à Saint-Tropez (je n’y étais presque plus retournée depuis le tournage du film Les randonneurs à Saint-Tropez, réalisé par mon mari Philippe Harel, j’avais co-écrit le scénario avec lui et Éric Assous. Mon mari joue également dedans aux côtés de Benoit Poelvoorde, Vincent Elbaz, Karine Viard et Géraldine Paillas). Je m’installe pour une semaine à l’hôtel Le Colombier. J’allais pieds nus nager à la Ponche, envahie d’un sentiment de liberté. Un régal. Au moment de rentrer chez moi, Patrice de Colmont, un vieil ami et ancien amant lorsque j’étais toute jeune, propriétaire d’un restaurant charmant, le Club 55, situé sur la plage de Pampelonne, à Ramatuelle, m’invite à passer une semaine dans le château qu’il vient d’acheter. Il me dit qu’il y aura également Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd. Que l’association Colibris locale organise à l’extérieur un événement Dessine-moi une tomate. J’accepte. Et me voilà projetée dans cette propriété où a grandi l’écrivain-aviateur Antoine de Saint-Exupéry.
Comme lors de la soirée du 2 juillet 2015 organisée autour de la signature de mes romans sur le toit de l’hôtel de Paris, Brigitte Schaming, l’épouse d’André Beaufils alors président de la Société Nautique de Saint-Tropez, m’avait invitée à être coéquipière sur un bateau de femmes durant les Voiles de Saint-Tropez, je reviens dans la presqu’île fin septembre. Entretemps, j’avais dit à Brigitte que je ne voulais plus être coéquipière dans un équipage exclusivement féminin, que je n’étais pas une espèce en voie de disparition, mais que je voulais bien faire coéquipière à terre. Bien m’en a pris, c’est ainsi que j’ai rencontré Pierre Rabhi. Plus exactement, c’est ainsi que Pierre Rabhi est venu à ma rencontre. Quelques jours auparavant, Patrice me confie qu’il a invité Pierre Rabhi et son accompagnateur à dormir dans son château de La Mole, la veille du défi du Club 55 qu’il dédie cette fois à la faim dans le monde en conviant également Paul Watson lors d’un déjeuner qu’il organise le jeudi. Tu sais, je lui dis, je suis seule chez Brigitte et André, si tu veux, tu peux m’inviter à dîner avec vous, ça me ferait plaisir de revoir Paul. Non, non, non, me répond Patrice, c’est compliqué. N’importe quoi, toi, je ris dans ma tête, je te connais depuis 31 ans, et tu me dis non, non, non, tu ne vas vraiment pas bien. Le lendemain, Patrice me confie qu’il est ennuyé car il ne sait pas à côté de qui asseoir Pierre Rabhi, tu comprends Sylvie, son entourage n’aime pas trop que je lui fasse faire ce genre de mondanités, il ne faut pas que je me trompe, je dois vraiment l’asseoir à côté de la bonne personne afin qu’il puisse échanger intelligemment. Si tu veux, je le gère ton Pierre Rabhi, je lui dis en souriant, tu me le présentes et je m’en occupe, ainsi tu es sûr qu’il passera une bonne journée. Non, non, non, me répond de nouveau Patrice, c’est compliqué. Tu me dis deux fois, non, non, non, toi, tu ne vas vraiment pas bien, je ris de nouveau dans ma tête. Et là, je décide que Pierre Rabhi ne doit voir que moi le jour du défi. Le lendemain, je viens donc déjeuner au Club 55 avec mon frère aîné Max qui a aidé Patrice à l’organisation des régates de la Nioulargue. Quand j’arrive au restaurant, je suis un soleil, tout le monde m’embrasse, surtout des gens que je ne connais pas, mais qui semblent ravis de me connaître. Je snobe Patrice qui est entourée de ses groupies toutes excitées à l’idée de voir des personnalités, et je m’installe à ma table sous les glycines (qui hélas ne sont plus fleuries, sinon c’est un ravissement) avec mon frère à qui je présente une copine afin de ne pas le laisser seul pendant que je vais voir la mer.
Sur la plage, je suis au bord de l’eau, je regarde les vagues quand soudain j’aperçois Pierre Rabhi qui est à 50 mètres venir vers moi comme attiré par le soleil que je suis ce jour-là. Il m’embrasse la main et me demande qui je suis. Je m’appelle Sylvie, Pierre, je lui réponds, et je me suis habillée en vert prairie pour vous rendre hommage (à cette époque une jeune styliste Rowena Forrest m’habillait et j’avais choisi cet ensemble en soie certainement par prémonition). Je connais ses livres depuis longtemps, nous parlons joyeusement, il est enchanté et ne plus lâche mon bras quand je vois Patrice faire des grands signes car il a besoin que Pierre le rejoigne pour faire des photos pour la presse en compagnie du prince et de la princesse Bourbon de Parme et de Paul Watson. Je dis à Pierre qu’il est attendu. il me répond qu’il veut que je vienne faire les photos avec lui. Je lui dis non, parfois je suis sur la photo, mais là, non, je n’ai pas envie, mais je t’attends. Deux trois clic-clac plus tard, Pierre revient s’accrocher à moi et m’invite à déjeuner avec lui. Merci, mais je ne peux pas, je lui réponds, je dois déjeuner avec mon frère. Devant la mine toute triste de Pierre, j’ajoute, écoute, mon frère est très sympathique quand il parle sauf qu’il ne parle pas, alors voilà ce que je vais faire, je déjeune avec lui, puis je viens te voir. J’invite la copine à déjeuner avec nous, comme ça, une demi heure plus tard, je rejoins Pierre à sa table où personne n’avait le droit de s’asseoir à sa gauche, la place d’honneur qu’il m’avait réservée. Par télépathie, je dis à Patrice qui tourne comme un avion autour de nous car Pierre ne veut parler qu’avec moi, qu’il est débile de m’avoir dit non, et encore plus débile de m’avoir dit trois fois non, non, non, mets-toi dans la tête, Patrice, que tout ce que tu me refuses, l’univers me l’offrira deux fois plus grand et deux fois plus beau.
Depuis, avec Pierre, nous sommes devenus amis, nous nous téléphonons souvent. Nous sommes également allés le voir avec Patrice à Lablachère, chez lui, en Ardèche. Le matin, j’en ai profité pour aller me promener seule avec Marcelline dans le bois des Fées qui jouxte sa propriété. À la fin du déjeuner qui rassemblait les membres de son Fonds de dotation ainsi que d’autres convives, tout le monde se lève et s’apprête à partir. Patrice se lève aussi et commence à dire au-revoir argumentant que nous avons de la route à faire. Moi, je ne pars pas maintenant, je dis, je vais laver la vaisselle, nous étions une douzaine à partager ce délicieux repas, je ne laisse pas Pierre et sa femme Michèle avec une vaisselle aussi énorme. Je tends un torchon à Pierre et un autre à Patrice et je leur dis pendant que je lave, vous, vous essuyez, comme ça, on papote ensemble, ce sera joyeux. J’ai également passé un petit coup de balai afin de leur laisser une maison toute propre après cette invasion de gens pressés. Puis j’ai dit, moi, je ne pars pas maintenant, maintenant c’est l’heure du thé à la menthe avec Pierre, assieds-toi Patrice, on va continuer de papoter tous les trois. Mais de quoi ? me demande Patrice, affolé, on a de la route. Oui, mais là on a plus important à faire. Ah bon, mais quoi, insiste-t-il en regardant sa montre, on s’est tout dit, la réunion est finie. Justement, c’est là que les choses les plus importantes vont être dites, j’ai ajouté, et ça s’appelle l’amitié.
C’est au cours de ce déjeuner au Club 55 en octobre 2015, après qu’il se soit accroché à moi sur la plage, que Pierre m’a apprit que 75% des semences anciennes et reproductibles avaient disparu de la surface de la terre. Cela m’a choquée au point que, deux ans plus tard, j’ai créé mon personnage de Marcelline l’aubergine sur Youtube et en janvier 2021, mon association Avec Sylvie on sème pour la vie afin de lutter pour la préservation de ces semences.