Robert Ali Brac de la Perrière
Biodiversité échanges et diffusion d’expériences www.bede-asso.org
Au début de ce siècle, l’imposition des plantes transgéniques brevetées comme seul horizon aux cultures alimentaires de demain a brutalement réveillé les campagnes, assoupies depuis quelques décennies à l’écoute de la berceuse du progrès éternel : produire toujours plus et vivre toujours mieux. Les OGM ont brisé l’enchantement. Et le mouvement pour les semences paysannes est né.
Ce sont les luttes paysannes qui ont marqué les premiers points d’une prise de conscience large du piège transgénique. L’arrachage des cultures de maïs génétiquement modifié, la destruction des essais en champ revendiqués, a été l’acte de désobéissance civique qui a permis de multiplier les procès et initier les débats de fond dans la société.
En 2003, au moment où le mouvement des faucheurs volontaires d’OGM commence à être rejoint par de nombreux citoyens, les organisations paysannes et de l’agriculture biologique font alors éclore, dans les champs et dans les assiettes, une véritable alternative au tout bio-Tech et installent les bases du Réseau semences paysannes.. En effet la nature de la semence conditionne le mode de culture car on ne peut prétendre à une transition écologique de l’agriculture avec des semences non reproductibles, hybrides ou OGM ; elle est au centre du projet agricole et alimentaire de toute société. En revendiquant le développement d’un réseau de producteurs de semences paysannes, c’est un mode d’agriculture plus autonome, à la fois écologique et paysan qui est alors défendu. Cette aspiration est indissociable de la revendication du droit des communautés locales et des peuples à de se nourrir de leurs productions, culturellement adaptées à leur situation unique, selon le principe de souveraineté alimentaire. Ce principe a été introduit pour la première fois par La Via Campesina, mouvement mondial des petits producteurs, au Sommet mondial de l’alimentation en 1996.
La renaissance des semences paysannes, après un demi-siècle de monopole des semences industrielles, pour une agriculture hyper-productiviste, apparaît donc en France comme un projet politique, porté par un mouvement social. Elle renoue avec les fondamentaux d’une agriculture nourricière saine et socialement plus juste, redonnant aux agriculteurs un rôle central dans la gestion dynamique de la biodiversité agricole et des droits sur leurs semences. Le mouvement retisse les relations de solidarité (et non de concurrence) entre les multiples sociétés paysannes du monde qui continuent à fournir plus de 70% de notre alimentation. Il ouvre en outre un nouveau champ de collaboration par les échanges de plantes et de connaissances nécessaires à l’adaptation des terroirs aux conséquences néfastes des changements climatiques. D’abords épars et mal outillés, les paysans initiateurs de ce renouveau des semences paysannes ont progressivement attirés autour d’eux d’autres compétences agricoles, artisanales, scientifiques, citoyennes. En 2015 près de 80 organisations ont rejoint le Réseau semence paysanne qui sert de colonne vertébrale au mouvement. Des alliances se sont construites au sein de collectifs nationaux. Des programmes de recherche notamment européens se sont multipliés pour assoir les bases scientifiques de la légitimité des semences paysannes dans des cadres juridiques qui tendent aujourd’hui à les criminaliser.
Par rapport aux politiques publiques le déploiement des semences paysannes est freiné par les illusions entretenues sur le projet OGM/tout bio-Tech. La première illusion est tout d’abord de prétendre que le progrès est incorporé dans la plante modifiée par la technologie. On parle ici de progrès génétique. La croyance en « l ‘amélioration » des plantes est toujours vive dans la communauté scientifique ; des enseignements spécialisés ont formaté des générations de sélectionneurs dans une vision particulière d’un matériel végétal régulièrement enrichi par croisement dirigés de qualités nouvelles. Comme les rendements augmentent au prix de toujours plus de pesticides ; de quel progrès parle t-on ? Avec les OGM, le progrès génétique fait un saut, la plante est transformée par l’intégration des bouts d’ADN d’espèces très diverses (virus, bactérie, animaux..) Un saut périlleux qui le fait vaciller. En effet, les biotechnologues s’affranchissent des barrières reproductives entre les espèces : une construction génique chimère élaborée en laboratoire est insérée violemment dans le génome d’une plante cultivée, des millions de fois. Jusqu’à ce que ça marche. Ou presque. Très vite des voix de scientifiques se sont exprimées sur le caractère hasardeux, risqué des techniques et de la diffusion des plantes ainsi produites dans l’environnement agricole. Mais très vite aussi, les voix les plus critiques ont été étouffées. Combien de scandaleuses mises à l’écart avant celle de Séralini. Les Puszdaï, les Chapela et bien d’autres ont pâti d’une forme d’ostracisme scientiste illustrant combien l’institution faisait corps avec les firmes privées pour affirmer le caractère inoffensif des modifications génétiques en réduisant les contradicteurs au silence. Cela fait 20 ans maintenant que les plantes transgéniques ont montré leurs limites. Aucun des meilleurs rendements annoncés mais un usage décuplé d’herbicides, des preuves de plus en plus nombreuses de contaminations des cultures et des espèces naturelles, un lot d’effets collatéraux nuisibles dont, et ce n’est pas le moindre, la destruction massive des agrosystèmes paysans. Mais malgré tout cela, les politiques entonnent le même credo du progrès génétique pour l’agriculture « intelligente » de demain utilisant de nouvelles techniques de biotechnologies qui répondront mieux aux changements du climat. Il s’agit d’une mystification aussi lucrative que toxique prolongeant l’illusion OGM sans la dépasser. Même paradigme, même impasse.
Une deuxième illusion réside dans le besoin renforcé de propriété industrielle sur les plantes et leur descendance sous prétexte de mieux nourrir la planète. Propriété totale, absolue sur le procédé et sur la plante, empêchant toute utilisation de la semence par un tiers, qu’il soit agriculteur, ou sélectionneur professionnel, le brevet a d’abord concerné les nouvelles constructions transgéniques. Il s’étend aujourd’hui aux traits natifs des plantes. Le brevet a été justifié par la nécessité d’un retour d’investissement dans la recherche en donnant le monopole sur la diffusion de l’innovation. Certes les brevets sur les plantes transgéniques ont servi à consolider les monopoles industriels (5 multinationales contrôlent désormais près de 80% du secteur semencier) , mais ils n’ont en rien garanti un quelconque progrès pour un modèle agricole plus écologique et sain voulu par la société. On doit alors de nouveau interroger les politiques publiques qui continuent à favoriser le brevet sur les plantes (plus de 2000 brevets ont été accordés par l’Office européen des brevets) au détriment des droits des agriculteurs à renouveler leurs semences dans leurs champs.
Il est vrai que l’exploitant agricole moderne a depuis la première Révolution verte délégué l’art de faire la semence à des professionnels. Il a été incité, puis pris l’habitude de renouveler ses semences en les achetant dans le commerce avec les autres intrants (engrais, pesticides). Les variétés du commerce sont devenues toujours plus spécialisées aux normes industrielles (depuis le semis jusqu’à la transformation) et moins reproductibles (clones, hybride F1), et dans le même temps les protections industrielles se sont durcies. Les droits d’obtention végétale des semenciers se sont en trente ans progressivement approchés des brevets revendiqués par les multinationales de l’agrochimie qui ont accaparé l’essentiel du marché. Pour la plupart des exploitants agricoles des vieux pays industrialisés, faire sa semence n’est plus une option (et la plupart ont perdu ce savoir-faire). Ils ont à choisir parmi l’offre des agrofournisseurs industriels, à l’instar des consommateurs qui hésitent entre plusieurs fast-junk-food pour leur diner du soir.
Elargir dans la société le mouvement pour les semences paysannes
Ceux qui ont pris le plus tôt conscience de la trajectoire morbide prise par la sélection des variété modernes sont des agriculteurs engagés sur des modes de production moins intensifs, d’agriculture paysanne et /ou biologique. Ils ont cherché à avoir recours à des semences reproductibles pour une diversité de culture, et à faire ainsi évoluer eux-mêmes les qualités de leurs variétés adaptées aux parcelles de leur terroir, aux variations du microenvironnement qui les entourent. Au début du xxi èmes siècle ils étaient que quelques uns en France à remettre en culture les variétés anciennes de pays, ils se sont organisés, et sont aujourd’hui des milliers à développer une agriculture à partir de semences paysannes. Le Réseau Semences Paysannes favorise les échanges horizontaux de pairs à pairs, multipliant les bourses d’échanges et les Maisons de la semence paysanne[1]. Aussi les semences paysannes et les savoirs faire pour les utiliser diffusent à des cercles toujours plus larges dans la société. Les chefs étoilés en font la promotion. Les programmes de recherche collaboratives avec les organisations paysanne du réseau impliquant généticiens, nutritionnistes, anthropologues…) se multiplient. De nouvelles alliances se créent avec toutes les initiatives soutenant le développement d’une agroécologie paysanne. La plus symbolique est celle nouée par le Réseau avec le village alternatif d’Emmaüs à Lescar-Pau qui abrite un projet de souveraineté alimentaire incluant l’autonomie semencière pour nourrir les compagnons de la communauté…
Le mouvement accompagne un changement profond de société; déjà en marche mais qui doit se renforcer encore pour imposer des lois positives pour les producteurs de semences paysannes face aux lobbies des monopoles semenciers agissant à Paris (Haut Commissariat aux Biotechnologie, Comité Technique Permanent de la Sélection..) , à Rome ( FAO, Traité international sur les ressources phytogénétiques), à Munich (Office européen des brevets), à Bruxelles ( Commission européennes) et ailleurs.
[1] (lire : Les maisons des semences paysannes : Regards sur la gestion collective de la biodiversité cultivée en France. 2014, RSP)