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Un hectare trois de bonheur !

L'écrivain Sylvie Bourgeois Harel à l'Oasis Esperanza de Grimaud

Enfant, j’adorais lorsque pendant les vacances, au moment de passer à table, j’allais chercher les tomates mûres que ma mère avait plantées dans son jardin à Cap-d’Ail, près de Monaco, et aussi lorsqu’à Besançon, au printemps, avant le déjeuner, nous allions ramasser dans un champ à la sortie de la ville, des jeunes feuilles de pissenlit que nous mangions en salade avec un œuf poché acheté dans une ferme où les poules vivaient en liberté. Ma mère avait des dizaines d’endroits où elle savait trouver de la nourriture et des plantes médicinales que nous offrait la nature, les fraises des bois, les orties, les pâquerettes. J’adorais l’accompagner, c’était notre rituel, notre moment rien qu’à nous deux, sans les garçons de la maison qui dévoraient, en deux minutes, les repas que nous mettions des heures à préparer. Nous faisions également des confitures de framboises épépinées, des colliers de morilles séchées, des bocaux d’olives. Ma mère connaissait aussi un paysan qui avait résisté à la révolution industrielle et qui vendait en direct sa récolte à condition que nous la cueillions, c’était un bonheur d’aller chez lui, je me souviens encore du goût de ses pommes à la chair rose, goût que j’arrive à peu près à retrouver chez mon Monsieur Pomme, au marché bio, dont le grand-père n’avait pas accepté, après la Seconde Guerre mondiale, d’arracher ses pommiers en échange de la prime qu’offrait le gouvernement qui avait décidé qu’une seule variété de pommes françaises serait vendue dans les supermarchés. 

J’avoue que quand l’ère des supermarchés est arrivée, j’ai adoré les caddies que je remplissais à ras bord, les rayonnages pleins de Prince au chocolat, vendus par paquet de trois à un prix défiant toute concurrence, la possibilité de glisser dans les commission un tee-shirt rose indispensable à ma garde-robe, que ma mère m’offrait en souriant. Mais, ouf, très rapidement, pour ainsi dire, presque immédiatement, les parkings bondés, la queue aux caisses, les couleurs laides et criardes des étalages, nous ont dégoûtées, et nous sommes vite revenues chez madame Bassinet qui tenait l’épicerie au bout de la rue.

J’avoue aussi que quand je suis arrivée à Paris, à 20 ans, les boîtes de nuit, surtout Castel, m’ont plu au point que je passais mes nuits à danser dans ces lieux enfumés, une véritable tabagie, mes habits puaient la clope lorsque je rentrais chez moi à l’aube. Étant devenue boulimique, j’avalais n’importe quoi du moment que c’était industriel, gras, salé et sucré. Heureusement, lorsque je rentrais chez mes parents, ma mère me cuisinait des épinards à la sauce blanche et rééquilibrait mon alimentation que je maltraitais tout autant que moi. C’est à la mort de mes parents, il y a vingt-cinq ans, que j’ai désiré créé une ferme thérapeutique où recevoir des personnes qui souffraient de troubles psychiatriques, j’ai toujours pensé que travailler la terre, la sentir, l’aimer, la respecter, aidait à aller mieux. Mais ce n’était pas le projet de mon compagnon Charles qui était dans le cinéma américain, Stallone, Sharon Stone, le Festival de Cannes, étaient plus sa tasse de thé, la mienne aussi d’ailleurs, cet univers de paillettes et de stars m’amusait beaucoup, alors je n’ai pas trop insisté. Ça a été encore moins le projet de mon mari réalisateur qui n’est guère bucolique sauf s’il a une caméra dans les mains, là, il va gambader. Quand j’ai commencé à travailler au château de La Mole, dans le Var, je me suis dit que j’avais enfin trouvé le lieu idéal pour créer ma ferme thérapeutique, c’était immense, 150 hectares, avec des dépendances, mais mon employeur a préféré faire pousser des légumes destinés à son restaurant. Je ne désespère pas de trouver, un jour, le partenaire idéal afin de vieillir entourée de mes choux, mes fous, mes loups, et aussi certainement d’enfants abandonnés, voilà, une maison de l’Amour que ma mère aurait adorée.

Tout ça pour vous dire que je suis tombée sous le charme du terrain (j’adore l’appeler le terrain, tu vas au terrain dimanche, quoi tu ne connais pas le terrain…) que le maire de Grimaud, Alain Benedetto, et son conseil municipal, ont mis à la disposition de l’association Je fais ma part 83, qui vient de créer un jardin participatif, sans pesticides, ni produits chimiques, et à base uniquement de semences reproductibles, baptisé l’Oasis Esperanza, où chacun travaille, plante, sème, jardine, selon ses envies, ses disponibilités, ses compétences. Ça rit, ça chante, ça joue de la musique, ça mange, ça vit, et ça commence à pousser. Les premiers fruits et légumes seront distribués entre les membres actifs et les généreux donateurs. Une initiative qui a vu le jour sous l’impulsion de sa présidente Marie-Hélène Navarro, accompagnée par quatre référents, Nathalie Janin, Jérôme Goulley, Nadège Maurin, Roudouan El Rouhazi, et Tom Dusauvage, spécialisé en agréocologie et permaculture.

Sylvie Bourgeois

 

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